Page:Ségur - L’auberge de l’ange gardien.djvu/276

Cette page a été validée par deux contributeurs.

petit bois qui est à droite, et la rivière qui coule au milieu. Ce serait bien commode d’avoir tout cela. Quel dommage que ce ne soit pas à vendre ! »


C’est joli ces prés qui bordent votre jardin.

Madame Blidot et Elfy ne répondirent pas. C’était à vendre ; le malin général le savait bien depuis une heure ; il savait aussi que les sœurs n’avaient pas les fonds nécessaires pour l’acheter. Il eût fallu avoir vingt-cinq mille francs ; elles n’en avaient que trois mille.

« C’est dommage, répéta le général. Quel joli petit bien cela vous ferait ! Et, si un étranger l’achète, il peut bâtir au bout de votre petit jardin, vous empêcher d’avoir de l’eau à la rivière, vous ennuyer de mille manières. N’est-ce pas vrai ce que je dis, Moutier ?

MOUTIER.

Très vrai, mon général ; aussi je ne dis pas que nous n’ayons fort envie d’en faire l’acquisition. Et, si Elfy y consent, les vingt mille francs que je tiens de votre bonté, mon général, pourront servir à en payer une grande partie ; mais nous attendrons que le bien soit à vendre. »

Le général sourit malicieusement ; il avait tout prévu, tout arrangé. Le notaire avait ordre de répondre, en cas de demande, que le tout était vendu. À partir de ce jour, le général prit des allures mystérieuses qui surprirent beaucoup Moutier, Dérigny et les deux sœurs. Il envoya à Domfront louer un cabriolet attelé d’un cheval vigoureux ; il y montait tous les jours après déjeuner et ne revenait que le soir. Habituellement il partait seul avec le conducteur ; quelquefois il emmenait avec lui le curé.

On demanda plus d’une fois au conducteur où il menait le général, jamais on n’en put tirer une parole, sinon :