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LE GÉNÉRAL.

Vous recevrez cent cinquante mille francs pour tout cela sous peu de temps, monsieur le Curé, et si c’est insuffisant, vous me le direz. J’ajoute dix mille francs que vous placerez pour ce gueux de Torchonnet. Il les doit à mon repentir. Si je ne l’avais si terriblement battu, je ne lui aurais jamais donné une épingle à ce voleur, ce menteur, ce calomniateur, ingrat, méchant, trompeur, scélérat en un mot. Je ne veux le revoir de ma vie ; je ne réponds pas de ce que je ferais s’il avait l’audace de se représenter chez moi. »

Le Curé ne savait pas le détail de ce qui s’était passé ; le général le lui raconta avec forces épithètes et injures contre Torchonnet. Le curé comprit mieux alors la colère du général, l’excusa en partie, et déclara qu’aussitôt après la guérison de Torchonnet, il le mettrait chez les Frères de la doctrine chrétienne, seuls capables de contenir et corriger les penchants vicieux de ce malheureux enfant ; quant aux objets volés, le curé alla immédiatement faire une recherche dans la chambre de Torchonnet ; il n’eut pas de peine à trouver au fond d’un tiroir de commode, sous un paquet d’habits, la timbale et le couvert qu’il remit à Moutier.

Le général et le curé se séparèrent fort contents l’un de l’autre : le général invita le curé à venir dîner.

« Ne vous gênez pas, mon bon curé ; venez souvent dîner avec nous ; les sœurs de l’Ange-Gardien vous aiment bien, Moutier aussi, les enfants aussi ; leur père vous aimera, et moi je vous respecte et vous aime. Que la dépense que vous leur occasionnerez ne vous arrête pas. C’est moi qui paye tout depuis le jour où j’ai mis le pied dans la maison… Vous, Moutier, vous n’avez pas besoin de hocher la tête et de vous démener comme