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LE GÉNÉRAL.

Il faut donc bien du temps en France pour tout cela ? Chez nous, en Russie, ça va plus vite que ça. Ainsi, je vois madame Blidot ; vous me convenez, je vous conviens ; nous allons trouver le pope, qui lit des prières en slavon, chante quelque chose, dit quelque chose, vous fait boire dans ma coupe et moi dans la vôtre, qui nous promène trois fois en rond autour d’une espèce de pupitre, et tout est fini. Je suis votre mari, vous êtes ma femme, j’ai le droit de vous battre, de vous faire crever de faim, de froid, de misère.

MADAME BLIDOT, riant.

Et moi, quels sont mes droits ?

LE GÉNÉRAL.

De pleurer, de crier, de m’injurier, de battre les gens, de déchirer vos effets, de mettre le feu à la maison même dans les cas désespérés.

MADAME BLIDOT, riant.

Belle consolation ! À quel sort terrible j’ai échappé !

LE GÉNÉRAL.

Oh ! mais moi, c’est autre chose ! Je serais un excellent mari ! Je vous soignerais, je vous empâterais ; je vous accablerais de présents, de bijoux ; je vous donnerais des robes à queue pour aller à la cour, des diamants, des plumes, des fleurs ! »

Tout le monde se met à rire, même les enfants ; le général rit aussi et déclare qu’à l’avenir il appellera madame Blidot : « Ma petite femme. » Après avoir causé et ri pendant quelque temps, le général va se coucher parce qu’il est fatigué ; Dérigny, après avoir terminé son service près du général, va avec ses enfants, dans leur chambre, les aider à se déshabiller, à se cou-