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faitrices, lui-même devait donc les perdre encore une fois, s’en séparer au moment où il venait de les retrouver ; l’angoisse de son cœur se peignait sur sa physionomie expressive.

LE GÉNÉRAL.

J’arrangerai tout cela moi ! Que personne ne se tourmente et ne s’afflige. Je ferai en sorte que tout le monde reste content. À présent, si nous soupions, ce ne serait pas malheureux ; j’ai une faim de cannibale ; nous sommes tous heureux ; nous devons tous avoir faim. »

Moutier, Elfy et madame Blidot étaient allés chercher les plats et les bouteilles ; le souper ne tarda pas à être servi, et chacun se mit à sa place, excepté Dérigny, qui se préparait à servir le général.

LE GÉNÉRAL.

Eh bien ! Pourquoi ne soupez-vous pas, Dérigny ? Est-ce que la joie tient lieu de nourriture ?

DÉRIGNY.

Pardon, mon général, tant que je reste votre serviteur, je ne me permettrai pas de m’asseoir à vos côtés.

LE GÉNÉRAL.

Vous avez perdu la tête, mon ami ! Le bonheur vous rend fou ! Vous allez servir vos enfants comme si vous étiez leur domestique ! Drôle d’idée vraiment ! Voyons, pas de folies. À l’Ange-Gardien nous sommes tous amis et tous égaux. Mettez-vous là, entre Jacques et Paul, et mangeons… Eh bien, vous hésitez ?… Faudra-t-il que je me fâche pour vous empêcher de commettre des inconvenances ? Saprelotte ! à table, je vous dis ! Je meurs de faim, moi ! »

Moutier fit en souriant signe à Dérigny d’obéir ; Dé-