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Dérigny l’embrassa pour toute réponse et soupira profondément.

JACQUES.

Vous êtes encore triste, papa ? et pourtant vous nous avez retrouvés Paul et moi !

DÉRIGNY.

Je pense à votre pauvre maman, cher enfant ; c’est elle qui vous a protégés près du bon Dieu et de la sainte Vierge et qui vous a amenés ici. Mon bon Moutier, comment avez-vous connu mes enfants ?

MOUTIER.

Je vous raconterai ça quand nous aurons dîné, mon ami, et quand les enfants seront couchés. Ils savent cela, eux ; il est inutile qu’ils me l’entendent raconter.

LE GÉNÉRAL.

Et vous, mon cher, comment se fait-il que vous ayez perdu vos enfants, que vous ayez fait la campagne de Crimée, que vous n’ayez pas retrouvé ces enfants au retour ? Vous n’avez donc ni père, ni mère, ni personne ?

DÉRIGNY.

Ni père, ni mère, ni frère, ni sœur, mon général. Voici mon histoire, plus triste que longue. J’étais fils unique et orphelin ; j’ai été élevé par la grand-mère de ma femme, qui était orpheline comme moi ; la pauvre femme est morte ; j’avais tiré au sort ; j’étais le dernier numéro de la réserve ; pas de chance d’être appelé. Madeleine et moi nous restions seuls au monde, je l’aimais, elle m’aimait ; nous nous sommes mariés ; j’avais vingt et un ans ; elle en avait seize. Nous vivions heureux, je gagnais de bonnes journées comme mécanicien-menuisier. Nous avions ces deux enfants qui complétaient notre bonheur ; Jacquot était si bon que