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désolé d’abord, en colère ensuite, je ne savais que faire, où aller, lorsque j’ai aperçu votre papier.

« L’attendre ! me suis-je dit, je t’en souhaite ! Moi, général, attendre un sergent ! Non, mille fois non. Ah ! il me plante là ! (J’étais en colère, vous savez.) Il me fait croquer le marmot à l’attendre ! Moi aussi, je lui jouerai un tour ; moi aussi, je vais me promener de mon côté pendant qu’il se promène du sien. (Toujours en colère, n’oubliez pas.) Alors je me lève ; je me sentais bien reposé, je fais volte-face et je reprends le chemin de notre bon Ange-Gardien. Je rencontre un bonhomme avec un âne, je lui demande de monter dessus (car j’étais essoufflé, j’avais marché vite pour vous échapper) le bonhomme hésite ; je lui donne une pièce de cinq francs ; il ôte son bonnet, salue jusqu’à terre, m’aide à monter sur le grison, monte en croupe derrière moi, et nous voilà partis au trot. Ce coquin d’âne avait le trot d’un dur ! il me secouait comme un sac de noix. Nous avions, je pense, un air tout drôle. Tous ceux qui nous rencontraient riaient et se retournaient pour nous voir encore. Je suis arrivé à l’Ange-Gardien. Elfy a poussé un cri et est devenue pâle comme la lune ; je l’ai bien vite rassurée sur vous, car c’est pour vous, mauvais sujet, qu’elle a pâli ; et moi, vous croyez qu’elle a eu peur en me voyant revenir en manches de chemise, à âne, avec un bonhomme en croupe ? ah ! bien oui ! peur ! Elle s’est sauvée pour rire à son aise. Il y avait bien de quoi, en vérité ! Elle m’a envoyé madame Blidot. Celle-là est une bonne femme ! pas une petite folle comme votre Elfy… Allons, voyons, vous voilà rouge comme un homard  ; vos yeux me lancent des éclairs ! On peut bien dire d’une jeune et jolie fille qu’elle est une petite folle !… À la bonne heure !