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MOUTIER.

Je vous assure, mon général…

LE GÉNÉRAL.

Je vous dis que ce n’est pas vrai, que c’est comme ça.

MOUTIER.

Mais, mon général…

LE GÉNÉRAL.

Il n’y a pas de mais ; vous croyez que je n’ai pas vu votre malice de vous mettre à courir comme un dératé pour me narguer. Vous vous disiez : Tu t’assoiras, mon bonhomme, tu te reposeras, mon vieux ! Je cours, toi tu t’arrêtes ; je gambade, toi tu tombes. Vivent les jeunes ! À bas les vieux ! Voilà ce que vous pensiez, Monsieur ; et votre bouche souriante en dit plus que votre langue.

MOUTIER.

Je suis bien fâché, mon général, que ma bouche…

LE GÉNÉRAL.

Fâché ? par exemple ! Vous êtes enchanté ; vous riez sous cape ; vous voudriez me voir tirer la langue et traîner la jambe, et que je restasse en chemin, pour dire : Voilà pour punir l’orgueil de ce vieux tamis criblé de balles et de coups de baïonnette ! Car j’en ai eu des blessures ; personne n’en a eu comme moi. Oui, Monsieur, quoi que vous en disiez ; quand vous m’avez ramassé à Malakoff, au moment où j’allais sauter une seconde fois, j’avais plus de cinquante blessures sur le corps ; et sans vous, Monsieur, je ne m’en serais jamais tiré ; c’est vous qui m’avez sauvé la vie, je le répète et je le redirai jusqu’à la fin de mes jours ; et vous avez beau me lancer des regards furieux (ce qui est fort inconvenant de la part d’un sergent à un général), vous