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pied d’un arbre touffu, pas de pierres, de la mousse et de l’herbe. Moutier voyait bien la manœuvre du général qui tournait, s’arrêtait, soupirait, boitait, mais qui n’osait pas avouer son extrême fatigue. Enfin, voyant que Moutier ne disait mot et n’avait l’air de s’apercevoir de rien, il s’arrêta :

« Mon bon Moutier, dit-il, vous êtes en nage, ma redingote vous assomme, asseyons-nous ici ; c’est un bon petit endroit, fait exprès pour vous redonner des forces.

MOUTIER.

Je vous assure, mon général, que je ne suis pas fatigué et que j’irais du même pas jusqu’à la fin du jour.

LE GÉNÉRAL.

Non, Moutier, non ; je vois que vous avez chaud, que vous êtes fatigué.

MOUTIER.

Pour vous prouver que je ne le suis pas, mon général, je vais accélérer le pas. »

Et Moutier, riant sous cape, prit le trot gymnastique des chasseurs d’Afrique. Le pauvre général, qui se sentait à bout de force, se mit à crier, à appeler.

« Moutier ! arrêtez ! Comment, diantre, voulez-vous que je vous suive ? Puisque je vous dis que je suis rendu, que je ne peux plus avancer un pied devant l’autre. Voulez-vous bien revenir… Diable d’homme ! il fait exprès de ne pas entendre. »

Moutier se retourna enfin, revint au pas de course vers le général et le trouva assis au pied de cet arbre, sur ce tertre que Moutier refusait.

« Comment, mon général, vous voilà resté ? Je croyais que vous me suiviez.

LE GÉNÉRAL, avec humeur.

Comment voulez-vous que je suive un diable