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Le général le regarda fixement :

« Moutier, regardez-moi ! (il montre son nez), et osez me regarder sans rire. (Moutier regarde, sourit et mord sa moustache pour ne pas rire tout à fait.) Vous voyez bien ! vous riez ! Pourquoi ne pas dire franchement : Général, vous êtes trop gros, trop lourd, vous resterez en route ! (Moutier veut parler.) Taisez-vous ! je sais ce que vous allez dire. Et moi je vous dis que je marche tout comme un autre, que j’irai à pied, quand même vous me trouveriez dix voitures pour me transporter.

MOUTIER.

Mon général, je suis tout à fait à vos ordres, mais je crains… que vous ne vous fatiguiez beaucoup ; avec ça qu’il fait chaud.

LE GÉNÉRAL.

J’arriverai, mon ami, j’arriverai. À mes paquets maintenant. D’abord je laisse ici tous mes effets ; je n’emporte que l’or, que vous mettrez dans votre poche, le portefeuille, que j’emporte dans la mienne, du linge pour changer en route et mes affaires de toilette dans ma poche. J’achèterai là-bas ce qui me manquera. »

Le général, enchanté de partir à pied, en touriste, rentra rayonnant dans la salle où ne se trouvait plus qu’un seul voyageur, un soldat ; ce soldat se tenait à l’écart, ne s’occupait de personne, ne disait pas une parole ; son modeste repas tirait à sa fin. Le général le regardait attentivement. Il le vit tirer sa bourse, compter la petite somme qu’elle contenait et en tirer en hésitant une pièce d’un franc.

« Combien, Madame ? dit-il à madame Blidot.