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L’AUBERGE DE L’ANGE-GARDIEN.

rent un cri de frayeur ; Moutier lui-même fit un mouvement de surprise. Le général les regarda tous d’un air calme.

« Suis-je bête, dit-il, on n’est pas plus sot que je ne suis. Moi, malheureux ! et pourquoi malheureux ? Parce que je n’ai pas de famille ? Eh ! parbleu, je me ferai une famille ; ce n’est pas difficile. Je prendrai Torchonnet. Moutier, allez me chercher Torchonnet, dites au curé que je veux l’emmener, l’adopter, lui donne six cent mille roubles de revenu. Allez donc, mon ami.

— Mais, général, dit Moutier en souriant, je ne sais pas si M. le curé voudra…

LE GÉNÉRAL.

Comment, s’il voudra ? Six cent mille roubles de revenu à un meurt-de-faim, à un Torchonnet ? Nous allons voir ça ! J’y vais moi-même. »

Et le général courut à la porte, sortit sans même prendre son chapeau, traversa la rue précipitamment et entra chez le curé.

Moutier resta ébahi ; madame Blidot et Elfy se regardaient avec surprise ; elles finirent par rire. « Il est un peu fou, » dit madame Blidot.

ELFY.

C’est dommage ! il est bon.

MOUTIER.

Oh oui ! bien bon, Elfy ! Si vous saviez avec quelle patience il écoutait tous mes récits, avec quelle bonté et quelle délicatesse il me faisait accepter ce dont je manquais, et ce que mes moyens ne me permettaient pas de me donner ! Et comme il a été bon et prévoyant pour notre mariage ! il n’est pas fou, non ; il a toute sa raison mais il est bizarre et il se laisse aller à tous ses