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L’AUBERGE DE L’ANGE-GARDIEN.

tit papa ; je vous aimerai bien ; je vous donnerai tout mon argent ; vous mangerez toute la journée tout ce que vous voudrez ; vous serez heureux comme des rois. Voulez-vous ?

JACQUES, avec fermeté.

Non, je ne veux pas ! J’aime maman, j’aime ma tante, j’aime mon bon ami Moutier, j’aime tout ici ; je n’ai pas besoin d’argent ; je n’ai pas besoin de manger ; je ne veux pas plus que ce que j’ai.

PAUL.

Et moi je ne veux pas d’un papa si vieux, si gros, si rouge. J’aime mieux mon bon ami Moutier, qui n’est jamais en colère, qui ne crie jamais.

LE GÉNÉRAL, se promenant les mains derrière le dos.

Bien, bien, mes enfants, assez comme ça… C’est dommage ! Ces enfants me plaisent… Je les aurais aimés… Je n’ai rien à aimer, moi. Tout le monde est mort chez moi !… C’est ennuyeux pourtant ! et qu’est-ce que je ferai de mon argent ? Puisque je n’aime personne chez moi ! Et ceux que j’aime ici ne veulent pas de moi. Pauvre Dourakine ! Je parais être heureux, et je suis très-malheureux ! Oh oui, mon pauvre Moutier, ma bonne madame Blidot, ma chère Elfy, je suis un pauvre homme bien à plaindre ! Personne ne m’aime, personne ne m’aimera. Pauvre, pauvre que je suis ! »


Personne ne m’aime, personne ne m’aimera.

Et le général se jeta sur une chaise, appuya sa tête et son bras sur la table, et se mit à gémir tout haut. Ses trois amis, inquiets de cet accès de désespoir, s’approchèrent de lui pour essayer de quelques consolations. Tout à coup il se leva brusquement de dessus sa chaise et frappa la table de son poing. Madame Blidot, Elfy sautèrent en arrière, Jacques et Paul poussè-

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