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L’AUBERGE DE L’ANGE-GARDIEN.

tre aucun détail sur ce qui me concernait ! Et Moutier ? où est-il ? c’est lui qui a tout fait. Moutier ! Moutier ! Ah ! il croit que, parce qu’il m’a fait prisonnier, il peut me mener comme un enfant ! Il se figure que, parce qu’il m’a sauvé deux fois ; car il m’a sauvé deux fois, Monsieur, au péril de sa vie, et je l’aime comme mon fils ! et je l’adopterais s’il voulait. Oui, je l’adopterai ! Qu’est-ce qui m’en empêcherait ? Je n’ai ni femme ni enfant, ni frère ni sœur. Et je l’adopterai si je veux. Et je le ferai comte Dourakine, et Elfy sera comtesse Dourakine. Et il n’y a pas à rire, Monsieur ; je suis maître de ma fortune ; j’ai six cent mille roubles de revenu, et je veux les donner à mon sauveur. Moutier, venez vite, mon ami ! »

Moutier entra l’air un peu penaud ; il s’attendait à être grondé.

LE GÉNÉRAL.

Viens, mon ami, viens, mon enfant ; oui, tu es mon fils, Elfy est ma fille ; je vous adopte ; je vous fais comte et comtesse Dourakine, et je vous donne six cent mille roubles de rente. »

Elfy était entrée en entendant appeler Moutier ; elle s’apprêtait à le défendre contre la colère du général. À cette proposition si ridicule et si imprévue, elle éclata de rire, et, saluant profondément Moutier :

« Monsieur le comte Dourakine, j’ai bien l’honneur de vous saluer. »

Puis, courant au général, elle lui prit les mains, les baisa affectueusement.

« Mon bon général, c’est une plaisanterie ; c’est impossible ! c’est ridicule ! Voyez la belle figure que nous ferions dans un beau salon, Moutier et moi. »

Le général regarda Moutier qui riait, le juge d’in-