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L’AUBERGE DE L’ANGE-GARDIEN.

que des linottes, parole d’honneur !… Tenez, vous voyez bien ces deux montres que voilà ? ce sont celles de vos enfants ! C’est vous qui les leur donnez. Ce n’est pas moi, entendez-vous bien ?… Non, ce n’est pas moi ! Quand je vous le dis ! Pourquoi leur donnerais-je des montres ? Est-ce moi qui me marie ? Est-ce moi qui les ai trouvés, qui les ai sauvés, qui ai fait leur bonheur en les plaçant chez ces excellentes femmes ? Oui, excellentes femmes, toutes deux. Vous serez heureux, mon bon Moutier ; je m’y connais et je vous dis, moi, que vous auriez couru le monde entier, pendant cent ans, que vous n’auriez pas trouvé le pareil de ces femmes. Et je suis bien fâché d’être général, d’être comte Dourakine, d’avoir soixante-quatre ans, d’être Russe, parce que, si j’avais trente ans, si j’étais Français, si j’étais sergent, je serais votre beau-frère ; j’aurais épousé madame Blidot. »

L’idée d’avoir pour beau-frère ce vieux général à cheveux blancs, à face rouge, à gros ventre, à carrure d’Hercule, parut si plaisante à Moutier qu’il ne put s’empêcher de rire. Le général, déridé par la gaieté de Moutier, la partagea si bien que tous deux riaient aux éclats quand madame Blidot, Elfy et les enfants, attirés par le bruit, entrèrent dans la chambre ; ils restèrent stupéfaits devant l’aspect bizarre du général à moitié tombé sur un canapé où il se roulait à force de rire, et de Moutier partageant sa gaieté et s’appuyant contre la table sur laquelle étaient étalés l’or et les bijoux de la cassette et du nécessaire.

Le général se souleva à demi.

LE GÉNÉRAL.

Nous rions, parce que… Ha ! ha ! ha !… Ma bonne madame Blidot… Ha ! ha ! ha ! Je voudrais être