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L’AUBERGE DE L’ANGE-GARDIEN.

LE VOYAGEUR.

Je parlais des bœufs sur pied. Vous n’êtes donc pas marchand de bœufs, M’sieur ?

— Non, M’sieur, reprit le général, riant à se tenir les côtes. Je suis voyageur comme vous et prisonnier de monsieur, en montrant Moutier qui entrait.

LE VOYAGEUR, effrayé.

Prisonnier ? Vous… Vous êtes donc… ?

LE GÉNÉRAL, riant plus fort.

Pas un voleur ni un assassin, M’sieur, quoique j’aie tué ou fait tuer bien du monde. (Le voyageur saute en arrière.) Prisonnier de guerre, M’sieur ; pris à Malakoff par monsieur qui m’a sauvé en sautant au milieu des décombres de Malakoff pendant l’explosion. Il en sautait, il en tombait tout autour de nous. Tout en gémissant de mes blessures, j’admirais ce courage qui bravait la mort pour sauver un ennemi. Et voilà, M’sieur, comment je suis voyageur-prisonnier.

LE VOYAGEUR.

Quel est votre grade, M’sieur ?

LE GÉNÉRAL.

Général, M’sieur. »

Le voyageur bondit de dessus sa chaise, ôta son chapeau et dit avec embarras :

« Faites excuse, M’sieur, je ne savais pas ;… je croyais… comment deviner ?

LE GÉNÉRAL.

Pas de mal, M’sieur, pas de mal ; ce n’est pas la première fois qu’on me prend pour un marchand de… toutes sortes de bêtes ; et ce ne sera pas la dernière. »

Le voyageur, confus, voulut solder sa dépense ; le gé-