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L’AUBERGE DE L’ANGE-GARDIEN.

petit service. Mais comment est-ce pour moi que vous avez pris vos quartiers chez ces coquins ? »

Avant de répondre, le général demanda un verre de vin ; il l’avala, se sentit remonté et dit à Moutier :

« Vous m’aviez dit que vous vouliez passer par ici pour voir vos bonnes amies et les enfants ; j’ai voulu vous épargner la route par étapes d’ici jusqu’aux eaux de Bagnoles, et je suis venu vous attendre chez ce scélérat qui a si bien manqué m’égorger.

MOUTIER.

Comment ont-ils fait pour s’emparer de vous ? Et pourquoi voulaient-ils vous tuer ?

LE GÉNÉRAL.

Nous avons eu une querelle au sujet d’un pauvre petit diable qui avait l’air si malheureux, si malade, si terrifié, que j’en ai eu compassion. Je lui ai donné une commission et vingt francs pour en payer un, le surplus pour lui. Le fripon d’aubergiste a volé les vingt francs, car je n’ai plus revu l’enfant. Je lui en ai reparlé le lendemain. J’ai su que l’enfant était le fils d’une mendiante, qui l’a laissé à l’aubergiste pour l’aider dans son ouvrage ; j’ai vu que l’enfant devait être traité fort durement. J’ai demandé à payer son apprentissage quelque part ; le coquin a refusé. J’ai dit que j’irais le demander au maire de l’endroit ; il est entré en colère et m’a parlé grossièrement. J’avais eu la sottise de lui laisser voir ma bourse pleine d’or, des billets de banque et des bijoux dans ma cassette, et je lui dis qu’il avait perdu par sa grossièreté une bonne occasion d’avoir quelques milliers de francs. Il s’est radouci, m’a dit qu’il acceptait le marché ; j’ai refusé à mon tour, et j’ai tout remis dans ma cassette. L’homme m’a lancé un regard de dé-