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Kersac.

Laisse-le tranquille. Est-ce que j’ai besoin de son remerciement ! C’est pour toi, ce que j’en fais ; ce n’est pas pour lui. »

Jean eut beau faire des signes à Jeannot, il n’en put obtenir une parole. Kersac s’apercevait, sans en avoir l’air, du manège de Jean et de son air inquiet : il souriait et s’amusait à exciter les supplications muettes de Jean, en se retournant de temps en temps et en lançant à Jeannot des regards mécontents. Jean croyait découvrir de la colère dans les yeux menaçants de Kersac ; il s’efforça de la détourner par des observations aimables sur la beauté du cheval, qui était bon, mais pas beau ; ensuite sur la douceur de la carriole, qui les secouait comme un panier à salade ; sur les charmes de la route, qui était une plaine aride.

Plus Kersac s’amusait des efforts visibles du pauvre Jean pour conjurer l’orage qu’il redoutait pour Jeannot, plus ses yeux devenaient terribles, plus ses lèvres se contractaient, plus son front se plissait ; ses sourcils se fronçaient ; sa bouche prenait un aspect presque féroce ; sa main, dégagée des rênes, se crispait. Enfin, il arrêta son cheval et se retourna vers Jeannot. Le visage de Jean exprima la consternation, celui de Jeannot la frayeur.

Après quelques minutes d’immobilité pendant lesquelles le cheval reprenait haleine, Kersac, voyant la terreur visible de Jeannot et l’inquiétude croissante de Jean, s’adressa au premier d’une voix formidable.