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rousse, qu’il saisit pour la faire tourner ; mais la rousse, furieuse de l’abandon de Jeannot, cherchait à se sauver ; la crainte du punch triplant les forces de Jeannot, il parvint à l’enlever, à la faire tourner malgré sa résistance, malgré les coups de poing qu’elle lui assenait avec la vigueur d’un colosse pesant deux cents livres ; l’infortuné Jeannot, plus petit qu’elle, les recevait sur la tête, et n’en continuait pas moins à tourner, accroché aux plis de la robe de la grosse rousse, qui, de son côté, criait et vociférait mille injures. Hélas ! le pauvre Jeannot eut beau supporter avec un mâle courage cette grêle de coups, eut beau s’épuiser en efforts pour accomplir son tour de valse, la danseuse l’obligea à lâcher prise et le laissa seul, immobile près d’un groupe d’hommes au milieu desquels Mlle Clorinde chercha secours et protection.

Pendant cette scène, Jean, au milieu de ses rires, dit à M. Abel :

« Pauvre Jeannot, il va avoir le punch à payer ; quel dommage que le monsieur Peintre ne soit pas ici ! »

M. Abel se trouva tout près de Jeannot au moment où il fut obligé de lâcher sa danseuse. Il mit une pièce de vingt francs dans la main de Jeannot, lui dit tout bas : « Pour payer le punch », et disparut. Son nom commençait à circuler et à exciter l’indignation des mères ; à mesure que le calme se rétablissait, il voyait des regards irrités se porter sur lui. Il voulut prévenir l’orage et sortit.

Avant de passer le seuil de la porte, au bas