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de l’Italien, que Mme de Cémiane avait présenté à son mari, et à l’appétit vorace du pauvre Paolo, qui ne se laissait pas oublier. Quand le rôti fut servi, il n’avait pas encore fini l’énorme portion de fricassée de poulet qui débordait son assiette. Le domestique avait déjà servi à tout le monde un gigot juteux et appétissant, pendant que Paolo avalait sa dernière bouchée de poulet ; il regardait le gigot avec inquiétude ; il le dévorait des yeux, espérant toujours qu’on lui en donnerait. Mais, voyant le domestique s’apprêter à passer un plat d’épinards, il rassembla son courage, et, s’adressant à M. de Cémiane, il dit d’une voix émue :

« Signor conté, voulez-vous m’offrir zigot, s’il vous plaît ?

— Comment donc ! très volontiers », répondit le comte en riant.

Mme de Cémiane partit d’un éclat de rire ; ce fut le signal d’une explosion générale. Paolo regardait d’un air ébahi, riait aussi, sans savoir pourquoi, et mangeait tout en riant ; excité par la gaieté, par les rires des enfants, il rit si fort qu’il s’étrangla ; une bouchée trop grosse ne passait pas. Il devint rouge, puis violet ; ses veines se gonflaient ; ses yeux s’ouvraient démesurément. François, qui était à sa gauche, voyant sa détresse, se précipita vers lui, et, introduisant ses doigts dans la bouche ouverte de Paolo, en retira une énorme bouchée de gigot. Immédiatement tout rentra dans l’ordre ; les yeux, les veines, le teint reprirent leur aspect ordinaire, l’appétit revint plus vorace que jamais.