Page:Ségur - Aprés la pluie, le beau temps.djvu/65

Cette page a été validée par deux contributeurs.

n’avait pas le temps de répondre à une demande qu’on lui en adressait une autre. Il frappa un grand coup de poing sur la table et cria d’une voix de stentor :

« Silence, tous ! Moi ai pas dix bouches pour répondre à dix à la fois. Moi va dire quoi j’ai fait. Moi Ramoramor servait moussu, madame Dormère, moi servais petite mam’selle Geneviève ; moi aimais beaucoup petite mam’selle, très bonne, très douce pour pauvre nègre ; moi portais petite mam’selle quand petite mam’selle être fatiguée. Moi partir avec maîtres à moi, petite mam’selle et mam’selle Pélagie ; tous monter sur un grand vaisseau. Aller longtemps, longtemps. Vaisseau arrêter ; moi nager et aller à terre ; vaisseau partir, laisser Ramoramor tout seul ; moi vouloir rattraper maîtres, et moi monter sur vaisseau plus grand ; mais grand vaisseau tromper pauvre moi et aller en arrière très longtemps, très longtemps ; moi m’ennuyer et devenir matelot ; moi arriver enfin dans la France ; capitaine dit : « Voilà France ; va chercher maîtres à toi. Toi brave matelot et moi payer toi. » Bon capitaine mettre dans la main à moi beaucoup pièces jaunes pour trois ans. Moi ôter chapeau, dire adieu et aller chercher moussu Dormère, madame Dormère, petite mam’selle. Moi pas trouver et marcher toujours ; moi arriver ici pas loin et demander moussu Dormère. « C’est ici, dit bonne femme ; pas loin sur grand chemin vous trouver maison à Moussu Dormère. » Moi dire merci à bonne femme et marcher et demander moussu Dormère ; et moi