Page:Ségur - Aprés la pluie, le beau temps.djvu/419

Cette page a été validée par deux contributeurs.

— Hélas ! madame, j’ai perdu un œil tout de même.

— Eh bien, mon ami, il vous en reste un qui est bon. Un bon œil vaut mieux que deux mauvais. Allons, ne perdez pas courage ; vous serez encore le beau zouave ! »

Le caporal borgne riait et reprenait courage.

« Et vous, mon ami, comment va la jambe ?

— J’en souffre toujours ; je n’ai pas dormi de la nuit.

— Ce n’est pas étonnant quand on a une jambe coupée.

— Oui ; me voilà estropié pour la vie.

— Mais vous n’en serez pas moins leste ; une jambe de bois vous fait avancer tout comme une jambe de chair et d’os. Avec votre uniforme de zouave et votre jambe de bois, vous allez faire un effet superbe au pays. Toutes les femmes voudront vous épouser ; vous n’aurez qu’à choisir. Et votre femme sera fière d’avoir été choisie par le zouave à jambe de bois. Vous verrez cela. »

Et ainsi de suite ; pendant qu’elle en soignait un, elle en faisait rire plus de dix.

Lorsqu’elle fit sa dernière visite, et qu’elle annonça son prochain départ, ce fut un témoignage général de regrets et de reconnaissance ; elle parla à tous ces pauvres blessés, elle demanda leurs commissions.

« Ne vous gênez pas, leur dit-elle ; lettres, paquets pourvu qu’ils ne soient pas gros comme des montagnes, je me charge de tout et je ferai tout parvenir à son adresse. Écrivez les noms lisiblement