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M. Halévy note très justement aussi que le mouvement chartiste, « qui ne fut qu’une révolte de la faim », ne procédait d’aucune idéologie socialiste. Enfin, c’est un fait bien digne de remarque que, dans la première moitié du XIXe siècle, la floraison des doctrines socialistes fut beaucoup moins vigoureuse en Angleterre, où cependant la « révolution industrielle » fut précoce, intense, et s’accompagna de graves troubles sociaux, qu’en France où le capitalisme industriel se manifesta plus tardivement et avec bien moins de vigueur. N’est-ce pas, dans une certaine mesure, la continuation de l’admirable mouvement d’idées du XVIIIe siècle ? Il est aussi bien intéressant de constater que, dans notre pays, la propagande des idées socialistes eut surtout du succès parmi les ouvriers parisiens, ouvriers de la petite industrie, ouvriers d’art, dont la condition n’avait guère changé depuis l’ancien régime[1]. Les ouvriers de la grande industrie se montraient bien plus réfractaires aux doctrines nouvelles.

Les répercussions sociales du capitalisme ne peuvent donc pas se représenter par des formules aussi tranchées que le pense l’orthodoxie marxiste. Il faut faire sa part à l’influence des idées, ne pas prendre au pied de la lettre « le matérialisme historique ». Si le triomphe du capitalisme a rendu possible la constitution de partis de classe, comme le sont les partis socialistes, l’influence des théoriciens, et en particulier de Karl Marx, y a été pour quelque chose, et même pour beaucoup ; ils ont largement contribué à éveiller, chez les prolétaires, la « conscience de classe »[2]. Celle-ci, d’ailleurs, n’est pas née brusquement ; encore obscure au XVIIIe siècle,

  1. Voy. O. Festy, Le mouvement ouvrier au début de la Monarchie de juillet, Paris, 1908.
  2. Voy. à cet égard d’excellentes réflexions de Kurt Breysig, Vom geschichtlichen Werden, t. I ; Persœnlichkeit und Entwicklung, Berlin, 1925