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la cause de l’affranchissement des serfs aux diètes de 1774, 1775, 1788, 1791, tandis que les petits seigneurs, qui ne pouvaient se passer des corvées serviles, s’y montraient hostiles. Ces faits nouveaux ont été mis en lumière par M. Rutkowski dans un important travail (en polonais), intitulé Le problème de la réforme agraire en Pologne au XVIIIe siècle (Poznan, 1925).

Puis on a besoin de salariés pour la grande industrie naissante. Tel est notamment le cas de la monarchie austro-hongroise, où l’affranchissement des dernières charges serviles et des droits seigneuriaux ne s’est produit qu’à la suite de la Révolution de 1848[1]. D’ailleurs, dans l’Europe centrale, l’émancipation n’a pas réduit, bien au contraire, l’étendue de la propriété noble ; en Prusse notamment, elle a favorisé l’extension et la productivité de la grande propriété[2].

Le phénomène est encore beaucoup plus apparent en Russie. Le développement de la vie urbaine, au XIXe siècle, accentue le caractère commercial de l’agriculture. On s’efforce donc d’intensifier la culture ; mais on reconnaît qu’il est impossible d’accroître vraiment la production en conservant le servage, qui empêche tout progrès agricole. L’économie capitaliste imposait donc l’émancipation ; la campagne humanitaire des écrivains russes et la guerre de Crimée n’ont été que les causes accidentelles, qui ont seulement hâté la réforme de 1861. L’émancipation aura, d’ailleurs, pour conséquence d’accroître la main-d’œuvre agricole et industrielle et, par conséquent, contribuera aux progrès du capitalisme commercial et industriel[3].

  1. Voy. H. Sée, Esquisse d’une histoire du régime agraire, p. 249 et suiv.
  2. Remarquons qu’au XVIIIe siècle les physiocrates, partisans de la grande propriété, sont favorables à l’abolition du servage, et des droits seigneuriaux ; il en est de même d’Arthur Young (Voyages en France, passim).
  3. Voy. Eugène Schkaff, La question agraire en Russie, Paris, 1922.