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sur la cime d’une montagne, c’était une concession qu’il faisait à l’humanité, et parce que, au bout du compte, cela lui était plus commode pour les courts entretiens qu’il avait avec nous. Ce qui nous émerveillait surtout, Hugo et moi, c’est que Vigny ne paraissait pas soumis le moins du monde à ces grossiers besoins de notre nature, que quelques-uns d’entre nous — et Hugo et moi étions du nombre de ceux-là — satisfaisaient, non seulement sans honte, mais encore avec une certaine sensualité. Personne de nous n’avait jamais surpris Vigny à table. Dorval, qui, pendant sept ans de sa vie, avait passé chaque jour plusieurs heures près de lui, nous avouait, avec un étonnement qui tenait presque de la terreur, qu’elle ne lui avait vu manger qu’un radis ! Proserpine, qui cependant était déesse, n’avait pas, elle, cette sobriété ; enlevée par Pluton, entraînée en enfer, elle avait, dès le premier jour et malgré la préoccupation que devait lui donner naturellement le séjour peu récréatif où elle avait été conduite, mangé sept grains de grenade ! Tout cela n’empêchait point Alfred de Vigny d’être un agréable confrère, gentilhomme jusqu’au bout des ongles, très capable