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SAINTE-BEUVE

tait point faite pour être la femme de Victor Hug-o, — ce dont se sont aperçus tous ceux qui ont lu attentivement les Lettres à la Fiancée, — et que Mme Drouet le comprenait beaucoup mieux qu’elle, — ce qui ne l’a pas empêchée de raconter sa vie d’une façon charmante, en « témoin » qui glisse sur les défauts et ne fait valoir que les qualités.

Ainsi donc, il vint un jour où, du consentement tacite de sa femme, Victor Hug’o eut publiquement deux foyers : Hauteville-House, où il prenait ses repas du matin avec Adèle, et la maison d’en face, autrement dit celle de Juliette, où il prenait généralement ses repas du soir, quelquefois avec ses fils. Et tous les amis de France qui venaient le visiter, après avoir salué respectueusement la reine de la main droite, allaient présenter leurs hommages à la reine de la main gauche. Cela renverse évidemment toutes les idées reçues en matière de morale : mais, comme disait Sainte-Beuve, poésie et morale n’ont jamais fait bon ménage ensemble, et les grands hommes ont assez l’habitude de se placer au-dessus des règles et des convenances sociales. D’ailleurs, l’amour excuse bien des choses, le temps aussi, et j’imagine que Victor Hugo répondait d’avance aux gens pudibonds ou bégueules que ses façons de vivre pouvaient scandaliser, lorsqu’il adressait à Juliette, au mois de septembre 1864, les beaux vers que voici :

Quant deux cœurs en s’aimant ont doucement vieilli,

tor Hugo. M. Biard, peintre d’histoire pas trop fameux, très laid, avait une jolie femme que M. Hugo séduisit. M. Biard les surprit en flagrant délit, de sorte que Hugo fut obligé de montrer, à celui qui voulait l’arrêter, sa médaille de pair de France, afin qu’on le laissât momentanément en repos. M. Biard voulait faire un procès à sa femme, mais tout s’est réduit à une simple séparation. Hugo a filé pour quelques mois en voyage. jVIme Hugo (très magnanime) a pris Mme Biard sous sa protection et Juliette, cette actrice de la Porte-Saint-Martin, célèbre il a y une dizaine d’années, qui est entretenue depuis longtemps par Hugo, malgré Mme « Victor Hugo, ses enfants et sa poésie sur la moralité de la famille, cette Juliette, dis-je, est partie avec lui. Les mauvaises langues parisiennes sont satisfaites : elles ont de quoi s’exercer. Mais il faut avouer que l’histoire est amusante. Ajoutez à cela que M. Hue : o en est à sa cinquième croix, et qu’à chaque occasion il pose pour la gravité et se présente comme supérieur au reste des humains. » [Souvenirs inédits de Chopin.)