Page:Séché - Les Muses françaises, II, 1908.djvu/90

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
84
LES MUSES FRANÇAISES

« J’aime… J’aime !… Je veux la musique des lignes,
« L’océan des regards, tout le parfum, l’émoi
« Des soirs, et la douceur flexible autour de moi
« Des purs bras féminins pareils aux cous des cygnes.
 
« J’aime… J’aime !… Je veux à l’heure où meurt le jour,
« Sentir mon front brûler mes paumes insensées,
« Et, séraphiquement, nourrir dans ma pensée
« Pleine d’astres, l’effroi d’éternelles amours. »

— Elle m’a dit : « Il faut mourir avant la honte
« De vieillir dans ta chair et ta pensée. Il faut
« Tomber, chantant encor, comme Orphée et Sapho,
« Quand ton désir de tout t’accable et te surmonte.
 
« Je te délivrerai du doute de ton cœur.
« Tu seras dans la terre ainsi qu’une semence,
« Tu sauras tout ce qui finit et recommence,
« Tu connaîtras l’Après dont les vivants ont peur. »

— J’ai dit : « La fin hâtive est un destin qu’on vante,
« Mais je renonce à son prestige funéral.
« Car l’horreur de vieillir est encore vivante,
« Et je crains mon néant encor plus que mon mal.

« J’ai peur de ne plus rien connaître dans ta fosse !
« À quiconque est passé, qu’importe l’Avenir ?
« La vie a beau durer, ma sensation fausse
« Dit vrai : « Le monde meurt de mon dernier soupir.

« Si loin qu’on se souvienne et si longtemps qu’on pleure,
« Quels longs regrets vaudront jamais mon cœur battant ?
« La mort ! La mort ! Recule encor ma dernière heure,
« Laisse-moi vivre pour t’aimer. Je t’aime tant !

« Partout se dresse en moi ta suprême pensée.
« C’est toi qu’en toute chose étreint ma passion.
« L’amour même me montre, aux faces renversées
« Des femmes, ta tragique et pure expression.

« Sans toi rien ne me plaît, sans toi rien ne m’étonne :
« Rythmes, parfums, couleurs, paroles ou contours
« Te doivent le trésor de ne durer qu’un jour,
« C’est ton enchantement qui ravage l’automne.