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LES MUSES FRANÇAISES

Je m’étonnais si fort que vous fussiez rieuse,
Moi qui d’abord pensais que vous n’aviez plus rien
Ayant à tout jamais perdu l’unique bien
D’être tentante, d’être étrange et vaporeuse.

La vie est-elle donc moins dure qu’on ne croit,
Puisqu’elle soigne encor comme une bonne mère,
Qu’elle sait égayer cette vieillesse amère
Où tout semblait devoir n’être que morne et froid ?

Et pourtant avec quelle épouvante cachée
Je regardais, songeant à la blancheur des lis
De nos âges, la peau ravagée et tachée
De ce masque qui fut jeune femme, jadis !

— Moi qui veux vivre jusqu’au bout ; est-il possible
D’imaginer qu’ainsi je pourrai rire un jour
Lorsque je n’aurai plus ce trésor indicible :
L’audace, la beauté, l’entrain, l’orgueil, l’amour ?…

(La figure de Proue.)


LE POÈME DU LAIT NORMAND


Intarissable lait de velours blanc qui sors
Des vaches de chez nous aux mamelles gonflées.
Lait issu de nos ciels mouillés, de nos vallées,
De nos herbages verts et de nos pommiers tors,
 
Je pense en te buvant à ces bonnes nourrices,
Trésor très précieux entre les bestiaux,
Je revois les beaux jours tranquilles des génisses,
Les taches de rousseur sur le blanc de leur dos.
 
Je crois reconnaître en toi le goût des paysages
Traversés de soleils couchants et de matins,
Si bleus sous le duvet de prune des lointains
Et parfumés de fleurs, de fruits et de fourrages.
 
Louange à toi, beau lait généreux qui jaillis !
En vérité je bois avec toi mon royaume
Riche en clochers à jour et riche en toits de chaume.
Louange ! car je bois avec toi mon pays,