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LES MUSES FRANÇAISES

LA ROBE VERTE


Parce que j’ai, ce soir, mis sur ma robe verte
Des colliers florentins, larges, d’or émaillé,
Près d’une rose noire au cœur de sang caillé
Epaisse doucement et molle d’être ouverte ;

Parce qu’aussi le ciel est violent et faux
Sur nous, ainsi qu’au fond des anciennes fresques,
Et que montent du parc et nous suffoquent presque
Les sucs évaporés aux brûlures des faux ;

Tu m’as dit : « Le regret des femmes qui sont peintes
Dans les très vieux tableaux, me hante ; le regret
De celles dont le nom est au bas du portrait,
Des anonymes en robe d’ange ou de sainte ;

Des femmes qui vivaient dans les chaudes cités,
Entre l’alcôve pourpre et le pourpre oratoire,
Et sanglotaient d’étreindre et sanglotaient de croire,
Tant mordait le beau feu de leurs félicités ;

Des femmes qu’amusaient les vengeances ardentes,
Qui, dans l’air onctueux des jardins somnolents,
Riaient que fussent vrais certains contes sanglants…
Des très aimantes, des ferventes, des vivantes !

— La vie aiguë, ô mon amour ! — J’ai le regret
Des femmes dont l’image aux murs froids des musées
S’allonge, dont la bouche est parfois comme usée
Pour avoir trop souri ses ambigus secrets. »

Tu m’as dit : « Mets tes mains ainsi, c’est là leur geste,
Baisse un peu tes cheveux, car leurs cheveux sont bas
Sur les tempes ; et maintenant ne parle pas.
Sois l’une d’elles, pense à cette fièvre, reste… »

Le ciel était celui des fresques d’autrefois.
J’avais le collier large, et la robe effacée.
Et la fleur de sang noir, et tu m’as embrassée.
Et ton baiser ce soir, n’a rien touché de moi.