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JEANNE CHARLES-NORMAND




Madame Jeanne Charles-Normand née Jeanne-Marie Petit, est originaire d’Aix-les-Bains. Professeur agrégé de l’enseignement secondaire des jeunes filles, et ancienne élève de l’Ecole Normale de Sèvres, elle a débuté dans la vie littéraire par quelques poésies insérées dans la Revue Latine que dirige M. Emile Faguet. En 1905, elle prend part au concours Sully-Prudhomme ; son manuscrit obtint la première mention. C’est ce manuscrit qu’elle édita l’année suivante sous ce titre poétique et discret : Le Jardin caché.

Il semble à lire les vers de Mme Jeanne Ch.-Normand qu’on assiste à une confidence intellectuelle, intime et discrète. C’est toute son âme qu’elle raconte, et cette confession à mi-voix est empreinte d’un charme mélancolique, d’une grâce douloureuse que nulle banalité, nulle facilité de rythmes ne déparent. « Hantise douloureuse des joies révolues, écrit d’elle un critique, lassitude d’un présent sans fraîcheur, résignation qui veut être calme, tout cela est senti sans révolte bruyante ; la mélancolie coule, discrète, à travers les strophes, faite d’espoirs déçus et d’intime écœurement. »

Certaines pièces, comme Reliques, font songer à Louisa Sieffert qui savait si tendrement, si joUment parler de ces « chiffons » de femmes, de ces menus riens qui parent et font aimer. Certaines autres, plus recueillies, d’une philosophie plus grave, évoquent — je ne dis pas qu’elles l’égalent ! — la maîtrise amère de Charles Baudelaire, mais avec quelque chose de moins fébrile et de moins désordonné dans l’inspiration. Elle se souvient de ses heures d’enfance, de ses primes joies — de tous ses beaux souvenirs qu’elle enveloppe de ses regrets, de ses tristesses. Puis soudain son vers s’égaie, et, facile et léger, toujours tendre, il chante la jolie chanson d’ « avril » ; mais ce n’est qu’un éclair, un rayon vite évanoui. Aussitôt Mme Jeanne-Ch. Normand revient à ses thèmes proférés : Confidences d’automne, — Printemps d’autrefois — Nuits de Lune — et ce très beau poème Sagesse qu’elle adresse à son corps, à sa beauté fragile et périssable.

Mme Jeanne-Ch. Normand s’elforce visiblement à écrire avec précision « t à composer des vers avec’soin. Elle soigne sa forme. Elle s’exerce aux rythmes nouveaux, cherche des combinaisons de mots et de mètres. « Il me semble, écrit-elle, que la poésie est avant tout, comme tout art véritable, une réalisation. L’émotion intérieure, sensation, passion, sourde rumeur de la pensée, l’inspiration poétique, en un mot, ne peut être rendue sensible, ne peut vivre et durer qu’en s’ordonnant sous l’influence souveraine d’une loi, en l’espèce, du rythme. Tout ce qui reste informe, chaotique, peut être matière à poésie, mais n’est pas poésie. »

C’est dire que l’autour du Jardin coché adhère à l’œuvre et à la doctrine des grands lyriques du Xix « siècle et à la forte discipline des