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MADAME CATULLE MENDÈS 199

Oïl dirait la forêt faite de sensitives ; Au pied des vieix omeaux, reclose, chaque fleur A l'air d'un œil d'ami qui retiendrait un pleur. Et des acacias, du mélèze, des charmes, De lourdes gouttes d'eau tombent comme des larmes; Je ne me souviens pas cependant qu'il ait plu. Qu'as-tu donc ma forêt? Ton grand front chevelu, Plus somptueux que ceux de toute une peuplade, Est incliné sur moi comme sur un malade Ignorant le danger et qu'il en peut mourir Et qui s'étonne à voir les autres en soufirir. Ainsi qu'autour des condamnés, tout est silence. Le saule n'ose plus avoir de nonchalance ; Un frêne a retenu son fin frémissement Qui faisait le clair bruit d'un ruisselet charmant; Au creux des troncs moussus chaque bête est tapie Sans remuer, aucun oiseau vif ne pépie. Je voudrais seulement entendre les grillons Poursuivant de cris stricts les suprêmes rayons : Mais la cigale dure elle-même s'est tue». torturante voix si souvent entendue, Du rossignol d'amour, à ce tendre moment Où chaque cœur humain devient un cœur d'amant. Pourquoi te regretter ainsi, pourquoi donc croire Que tu n'existes plus qu'en ma douce mémoire ? Ce silence est chargé de mystère; on dirait Que tout craint de laisser échapper un secret Affreux qu'il ne faut pas à jamais que je sache. Et que c'est par pitié tendre qu'on me le cache. L'Etoile du Berger qu'on nomme aussi Vénus Brille au ciel. N'est-ce pas l'heure de l'Angélus? Cependant nulle cloche, à travers la clairière, • Ne notis jette sa voix d'espoir et de prière A moins que la forêt, la redoutant pour moi, Ne l'étoi fïe en son cœur. ma forêt, pourquoi M'épargnez-vous avec ce grand air de tristesse? Autant que vos douceurs, j'aime votre rudesse. Vous en qui je versais toute ma passion, Pourquoi me pleurez- vous avec précaution. Comme un visage aimé qu'un chagrin décolore, Dites, forêt ? — et qui donc me trahit encore '.' (Le Cœur Magnifique.)