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LES MUSES FRANÇAISES


« Sais-tu qu’il est des soirs où tout l’être se pâme,
Des soirs si doux, si bleus, si lourds de volupté
Que pour un seul baiser l’on donnerait son âme,
Car le pavot du rêve endort la volonté !

« Laisse-moi savourer l’heure trop tôt passée ;
Laisse-moi n’être rien qu’une fleur dans la nuit !
N’allume pas en moi le feu de la pensée,
Et ne m’entraîne pas vers l’Idéal qui fuit.

« Si j’allais ne trouver qu’une ombre, une chimère,
Un fantôme formé des brouillards du matin !…
Je veux être une femme heureuse, amante ou mère :
J’ai peur, en t’écoutant, de changer mon destin. »

Mais tu m’as répété de ta voix grave et tendre :
« Viens dans la solitude où je te parlerai !
Il faut m’aimer pour moi, me choisir sans attendre
D’autres biens que les biens que je te donnerai ! »

Et ta douceur avait tant de force et de charme
Qu’il m’a fallu te suivre, ô déesse aux yeux clairs,
Sans un regret, sans un soupir, sans une larme,
Vers les monts où luttaient les vents et les éclairs.


(Vers les Sommets.)