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LES MUSES FRANÇAISES

Que gens d’esprit me donnent quelque gloire.
Goûte le bien que tant d’hommes désirent :
Demeure au but où tant d’autres aspirent :
Et crois qu’ailleurs n’en aura une telle,
Je ne dis pas qu’elle ne soit plus belle :
Mais que jamais femme ne t’aimera,
Ni plus que moi d’honneur te portera.
Maints grands seigneurs à mon amour prétendent,
Et à me plaire et servir prêts se rendent,
Joutes et jeux, maintes belles devises
En ma faveur sont par eux entreprises.
Et néanmoins tant peu je m’en soucie.
Que seulement ne les en remercie :
Tu es tout seul, et mon mal et mon bien !
Avec toi, tout, et sans toi je n’ai rien ;
Et n’ayant rien qui plaise à ma pensée,
De tout plaisir me trouve délaissée
Et pour plaisir, ennui saisir me vient,
Le regretter et pleurer me convient,
Et sur ce point entre un tel désconfort,
Que mille fois, je souhaite la mort.
Ainsi, Ami, ton absence lointaine
Depuis deux mois, me tient en cette peine,
Ne vivant plus, mais mourant d’un amour
Lequel m’occit dix mille fois le jour.
Reviens donc tôt, si tu as quelque envie
De me revoir encore un coup en vie.
Et la Mort avant ton arrivée
A de mon corps l’aimante âme privée,
Au moins, un jour, viens, habillé de deuil,
Environner le tour de mon cercueil,
Que plût à Dieu que lors fussent trouvés
Ces quatre vers en blanc marbre engravés :

Par toi, Ami, tant vesqui[1] enflammée,
Qu’en languissant par feu suis consummée,
Qui couve encore sous ma cendre embrasée.
Si ne la rends de tes pleurs appaisée.

  1. Je vécus.