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LES MUSES FRANÇAISES


IX

Ne reprenez, dames, si j’ai aimé,
Si j’ai senti mille torches ardentes,
Mille travaux, mille douleurs mordantes.
Si en pleurant j’ai mon temps consumé.

Las ! que mon nom n’en soit par vous blâmé.
Si j’ai failli, les peines sont présentes.
N’aigrissez point leurs pointes violentes.
Mais estimez qu’Amour, à point nommé,

Sans votre ardeur d’un Vulcain excuser,
Sans la beauté d’Adonis accuser,
Pourra, s’il veut, plus vous rendre amoureuses,

En ayant moins que moi d’occasion,
Et plus d’étrange et forte passion ;
Et gardez-vous d’être plus malheureuse.


ÉLÉGIE

Au temps qu’Amour, d’hommes et dieux vainqueur.
Faisait brûler de sa flamme mon cœur.
En embrassant de sa cruelle rage
Mon sang, mes os, mon esprit, mon courage :
Encore lors je n’avais la puissance.
De lamenter ma peine et ma souffrance.
Encor Phœbus, ami des lauriers verts.
N’avait permis que je fisse des vers ;
Mais maintenant que sa fureur divine
Remplit d’ardeur ma hardie poitrine,
Chanter me fait, non les bruyants tonnerres
De Jupiter, ou les cruelles guerres.
Dont trouble Mars, quand il veut, l’univers,
Il m’a donné la lyre, qui les vers
Souloit[1] chanter de l’amour Lesbienne :
Et à ce coup pleurera de la mienne.
Ô doux archet, adoucis-moi la voix.
Qui pourrait fendre et aigrir quelquefois,
En récitant tant d’ennuis et douleurs,
Tant de dépits, fortunes et malheurs.

  1. Avait coutume.