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LOUISE LABBÉ


VII

Ô beaux yeux bruns, ô regards desternés,
Ô chauds soupirs, ô larmes épandues,
Ô noires nuits vainement attendues !
Ô jours luisants vainement retournés !

Ô tristes pleints, ô désirs obstinés,
Ô temps perdu, ô peines dépendues[1]
Ô mille morts en mille rets tendues,
Ô pires maux contre moi destinés !

Ô ris, ô fronts, cheveux, bras, mains et doigts !
Ô luth plaintif, viole, archet et voix !
Tant de flambeaux pour ardre[2] une femelle !

De toi me plains, que tant de feux portant.
En tant d’endroits dessus mon cœur tâtant,
N’en est sur toi volé quelque étincelle.


VIII

Oh ! si j’étais en ce beau sein ravie
De celui-là pour lequel vais mourant ;
Si avec lui vivre le demeurant
De mes cours jours ne m’empêchant envie ;

Si, m’acollant, me disait : « chère amie,
Contentons-nous l’un l’autre, » s’assurant
Que la tempête, Euripe ni courant,
Ne nous pourra desjoindre en notre vie ;

Si de mes bras le tenant acollé,
Comme du lierre est l’arbre encerclé[3],
La mort venait, de mon aise envieuse.

Lors que souef[4] plus il me baiserait,
Et mon esprit sur ses lèvres fuirait,
Bien je mourrais, plus que vivante heureuse !

  1. Dépensées.
  2. Brûler.
  3. Entouré.
  4. Suave.