Page:Séché - Les Muses françaises, I, 1908.djvu/35

Cette page a été validée par deux contributeurs.
33
christine de pisan

la Cité des dames tout ce que les livres anciens et contemporains de son époque renfermaient de traits d’héroïsme et de vertu, de patience ou de dévouement, propres à honorer les femmes qui en furent les auteurs, mais encore elle ne craignit pas de soutenir au nom de son sexe une polémique passionnée, contre un livre dont la renommée était alors fabuleuse, le Roman de la Rose, où Jean de Meung avait furieusement attaqué les femmes.

Après Le Trésor de la Cité des Dames, l’ouvrage le plus intéressant que Christine ait écrit en prose, est certainement le Livre des faits et bonnes mœurs du Charles V, qu’elle composa en 1404, sur la demande du duc de Bourgogne. Le livre est d’ailleurs conçu plus comme un éloge ou même comme une oraison funèbre que comme un livre d’histoire. Ce qu’elle tient surtout à nous dire, ce sont les trois grandes vertus du roi : sa noblesse de cœur, sa chevalerie, et sa sagesse.

L’ouvrage est d’ailleurs singulièrement encombré de digressions toutes plus ou moins tirées des auteurs anciens, mais on y trouve des détails et des traits pittoresques, qu’on ne rencontre nulle part ailleurs ainsi que des portraits des principaux personnages de la cour de France, très vivants et d’une observation vraiment remarquable.

Christine de Pisan avait pour écrire une facilité inouïe qui n’a pas été sans nuire à l’excellence de ses travaux.

Elle déclare elle-même que de 1399 à 1405, c’est-à-dire en six ans, elle écrivit « quinze ouvrages principaux, sans compter les autres particuliers petits dictiez, lesquels, tous ensemble, contiennent soixante-dix cahiers de grand volume. »

C’est beaucoup, c’est même beaucoup trop !…

En poésie elle s’apparente à Eustache Deschamps qu’elle appelle son maître. Ses meilleurs compositions, celles qu’on lit le plus aisément aujourd’hui, sont les plus courtes, des lais, virelais, jeux à vendre, des ballades et des rondeaux. Ces pièces ont de la grâce et de l’élégance.

Elle ne sont pas dénuées non plus de sentiment, un sentiment intime et assez profond. Quant à ses autres œuvres poétiques, si elles n’étaient assez ennuyeuses en soi, leur longueur suffirait à nous en écarter. Parmi ses meilleures compositions poétiques il faut citer le Dit de Poissy imité de Guillaume de Mâchant, le Dit de la Pastoure et le Dit de la rose. Dans cette dernière œuvre très gracieuse, elle avait imaginé la fondation d’un ordre dans lequel devaient entrer tous ceux qui s’engageaient à ne jamais médire des femmes ni traiter légèrement de leur honneur !…

En résumé Christine de Pisan est une figure des plus curieuses et qui mériterait d’être tirée plus complètement du quasi oubli dans lequel est tombé son nom. « Je ne veux pas grossir son mérite, dit M. Petit de Julleville ; elle n’a point de génie, et la haute originalité, soit du style, soit de la pensée lui fait défaut. Elle n’a aucun génie, mais c’est une belle intelligence, vaste et largement ouverte… »


Bibliographie des œuvres poétiques. Le Livre des cent ballades. — le Livre du duc des vrais amants, le Chemin de long Estude (1402), poème cosmographique et moral (édité à Berlin et à Paris, par H. Puschel, en 1881. in-8). — Le Dit de la Rose (1402). — L’Épître d’Othéa à Hector, prose et vers (1402). — La mutation de fortune (1403). — Poème sur Jeanne d’Arc, (1429) publié par Arch. Jubinal, et inséré par J. Quicherat dans le Procès de Jeanne d’Arc (1841-49, 5. vol. in-8).