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forme à l’esprit et aux origines de notre versification. »

J’ay cité tout au long ce remarquable passage du livre de Sainte-Beuve, parce que le célèbre critique y fait valoir avec plus d’autorité que personne le talent et les qualités maîtresses de Joachim du Bellay et qu’il nous explique comment notre poète échappa au ridicule sous lequel tombèrent, pour ne plus se relever, la plupart de ses contemporains.

Il semble d’ailleurs que Joachim du Bellay ait eu conscience de sa fortune littéraire quand il adressait ces vers au seigneur Bouju[1], son compatriote :

CraDe mourir ne suis en esmoy
CraSelon la loy du sort humain,
CraCar la meilleure part de moy
CraNe craint point la fatale main :
Craigne la mort, la fortune et l’envie
À qui les dieux n’ont donné qu’une vie.

QuiMon nom du vil peuple incognu
QuiN’ira sous terre inhonoré ;
QuiLes Sœurs du mont deux fois cornu
QuiM’ont de sépulchre décoré
Qui ne craint point les Aquilons puissans
Ni le long cours des siècles renaissans.

Pourquoi donc avait-il pris cette lamentable devise : Spes et fortuna valete ! Ce n’est pas adieu mais au revoir qu’il devait dire, en mourant, à l’espérance et à la gloire, car la mort ne fut pour lui que le passage de la vie à l’immortalité.

  1. Jacques Bouju, angevin, 1515-1578, auteur de poésies grecques, latines, françaises, dont beaucoup sont restées inédites.