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obéissante et mobile, se déplaçait ; et, bien qu’elle ne disparût jamais complètement après le premier hémistiche, elle ne faisait dans ce sens qu’y glisser en courant, y laisser un vestige d’elle-même, et s’en allait tomber et peser ailleurs, selon les inflexions du sens et du sentiment. La rime aussi, au lieu d’être un signal d’arrêt et de sonner la halte, intervenait souvent dans le cours d’un sens à peine commencé, et alors, loin de l’interrompre, l’accélérait plutôt en l’accompagnant d’un son large et plein. Cet alexandrin primitif à la césure variable, au libre enjambement, à la rime riche qui fut d’habitude celui de du Bellay, de Ronsard, de d’Aubigné, de Régnier, celui de Molière dans ses comédies en vers, et de Racine en ses Plaideurs, que Malherbe et Boileau eurent le tort de mal comprendre et de toujours combattre, qu’André Chénier, à la fin du dernier siècle, recréa avec une incroyable audace et un bonheur inoui ; cet alexandrin est le même que la jeune école de poésie affectionne et cultive, et que tout récemment[1] Victor Hugo par son Cromwell, Émile Deschamps et Alfred de Vigny par leur traduction en vers de Roméo et Juliette, ont visé à réintroduire dans le style dramatique. Nos vieux poètes ne s’en sont guère servis que pour l’épître et la satire, mais ils en ont connu les ressources infinies et saisi toutes les beautés franches. On est heureux en les lisant, de voir à chaque pas se confirmer victorieusement une tentative d’hier et de la trouver si évidemment con-

  1. La première édition du Tableau de la poésie française de Sainte-Beuve, est de 1838.