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mier il prie Dieu de confondre ses ennemis comme il confondit les cousins du malheureux Job. « Dieu veuille, dit-il, qu’en cette mienne adversité je n’esprouve encore cette persécution de ceux dont par raison je debvrais attendre toute aide et consolation et non pas recevoir tant de mal pour le bien que je pense leur avoir faict. » Il faut croire qu’on l’avait menacé de l’Inquisition, car il écrit : « Quant à l’Inquisition, qui est le principal point dont l’on veult me faire peur, je voudrais estre aussi asseuré, monseigneur, de debvoir regagner vostre bonne grâce que j’ay peu de crainte de tel inconvénient. Je n’ay vescu jusques icy en telle ignorance que je n’entendisse les points de nostre foy, et prie Dieu qu’il ne me laisse pas tant vivre que de penser seullement, non qu’escrire, chose qui soit contre son honneur et de son église. »

Hélas ! le pauvre poète ne savait pas qu’il est beaucoup plus dangereux de s’attaquer aux ministres de la religion qu’à la religion elle-même, et que la plupart des suppliciés de l’Inquisition n’ont dû leur martyre qu’à la haine des prêtres pervers en qui ils refusaient de reconnaître les représentants du Christ.

Comme un malheur n’arrive jamais seul, suivant le proverbe, Joachim du Bellay se vit enlever tour à tour et vers le même temps ses plus puissants protecteurs. Déjà la reine de Navarre était morte ; Henri II tomba dans le tournoi célèbre dont le poète avait écrit les Inscriptions ; enfin Marguerite de France qui lui était si dévouée et « de son œil divin ses vers favorisait[1] » partit pour la Savoie avec le duc Emma-

  1. Les Regrets. sonnet VIIe.