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les publier. C’était une sorte de Memento, un miroir dans lequel, une fois parti de Rome, il aurait plaisir à retrouver les lieux, les hommes et les choses qu’il avait connus et dépeints. Il ne se doutait pas que c’était précisément le déshabillé charmant dans lequel il nous montrait Rome qui ferait vivre éternellement son livre. Les Regrets ont inauguré le genre de la poésie intime si prisée de nos jours. Rien de plus doux, de plus agréable à lire que cette suite de sonnets faciles dont le mal du pays forme la trame légère. C’est de la satire corrigée par la mélancolie du spleen, et qu’on boit comme du petit lait.

Malheureux l’an, le mois, le jour, l’heure et le poinct
Et malheureuse soit la flatteuse espérance,
Quand pour venir icy j’abandonnay la France,
La France et mon Anjou dont le désir me poingt.

Vraiment d’un bon oiseau guidé je ne fus point,
Et mon cœur me donnait assez signifiance
Que le ciel estoit plein de mauvaise influence
Et que Mars estoit lors à Saturne conjoint.

Cent fois le bon advis lors m’en voulut distraire,
Mais toujours le destin me tiroit au contraire :
Et si mon désir n’eust aveuglé ma raison,

N’estoit-ce pas assez pour rompre mon voyage,
Quand sur le seuil de l’huis, d’un sinistre présage,
Je me blessay le pied sortant de ma maison[1] ?

Que c’est bien là l’esprit superstitieux des poètes  ! Joachim du Bellay attribuait à ce petit accident toutes

  1. Les Regrets, sonnet XXVe.