Page:Séché - Joachim Du Bellay, 1880.djvu/36

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

l’immortel sonnet du « petit Lyré », le roi des sonnets, dit Sainte-Beuve :

Heureux qui comme Ulysse a fait un beau voyage
Ou comme cestuy-là qui conquit la toison.
Et puis est retourné, plein d’usage et de raison,
Vivre entre ses parents le reste de son âge !

Quand revoiray-je, hélas ! de mon petit village
Fumer la cheminée, et en quelle saison
Revoiray-je le clos de ma pauvre maison,
Qui m’est une province, et beaucoup d’avantage :

Plus me plaist le séjour qu’ont basty mes ayeux,
Que des palais Romains le front audacieux,
Plus que le marbre dur me plaist l’ardoise fine ;

Plus mon Loyre Gaulois, que le Tibre Latin,
Plus mon petit Lyré, que le mont Palatin,
Et plus que l’air marin la doulceur angevine[1].

Ne dirait-on pas un sonnet d’outre-tombe ? Qu’il y a de mélancolie et d’émotion douce dans cette stance :

Quand revoiray-je hélas ! de mon petit village
Fumer la cheminée ! ..............

On croirait entendre le soupir d’une de ces ombres, qui, faute d’avoir eu de quoi payer le farouche passeur du Styx, erraient pendant cent ans sur la rive désolée du fleuve des enfers.

Qu’on s’assure donc au plus vite du lieu de sépulture de Joachim du Bellay, et, s’il est vrai qu’il ait été enterré dans une chapelle de Notre-Dame, qu’on brise le « marbre dur » qui l’étouffe pour le rendre « au sein de sa terre nourrice » d’où voilà trois cents ans qu’il est exilé.

  1. Sonnet XXXIe des Regrets.