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jusqu’à la Loire et permet au regard d’embrasser la vallée dans toute son étendue et de fouiller les plus petits accidents du terrain. Plus de forêts, comme autrefois,

Qui leurs chevelures vives
Haussent autour de ses rives[1].

Le fleuve n’a qu’une légère bordure de saules et de peupliers, peu d’ombre par conséquent. Çà et là, quelque flèche d’église émerge d’un bouquet d’arbres, ou, sur un mamelon découvert, quelque moulin à vent fait tourner ses grands bras dans le ciel.

Ancenis occupe le centre de ce vaste paysage qu’elle égaie avec la mosaïque de ses toits, mosaïque de trois couleurs dans laquelle le bleu de « l’ardoise fine » se marie au rouge de la brique et à la neige aveuglante de la chaux. C’est la seule tache éclatante que la main des hommes ait répandue sur le tapis vert de ce riant vallon. Ancenis ressemble à une bacchante qui, fatiguée de la vendange, viendrait se laver les pieds dans le fleuve ; c’est dans le lac que je devrais dire, car les eaux de la Loire sont tellement calmes en cet endroit qu’elles paraissent dormir ; c’est à peine si le courant peut emporter la toue légère du pêcheur, et, le soir venu, les étoiles doivent se demander quel est cet autre ciel qui leur sourit au fond de l’eau.

Il va sans dire que ce tableau n’est pas le portrait du fleuve, hors de son lit. Alors il est méconnaissable. Ce n’est plus le miroir tranquille, encadré de verdure ; c’est une mer furieuse, couleur de lessive, qui se préci-

  1. Les louanges d’Anjou.