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Ainsi, l’utilité étant la même, la valeur grandit ou diminue avec la rareté, et la rareté étant la même, la valeur grandit et diminue avec l’utilité. Telle est en résumé la doctrine de Condillac. Ce qui revient à dire, comme on le voit, que la valeur d’échange est en raison composée de l’utilité et de la rareté. Condillac n’a pas tiré cette conclusion ; mais la logique et l’arithmétique nous autorisent à la tirer ; car elle découle nécessairement des prémisses qu’il a établies.

Or, la doctrine de Condillac, ainsi comprise, est inadmissible. La valeur d’échange n’est point en raison composée de l’utilité et de la rareté, car pour cela il faudrait qu’elle fût en raison directe de l’une et de l’autre. Or je soutiens que la valeur d’échange né grandit ni ne diminue avec l’utilité. L’utilité est la condition de la valeur d’échange, mais elle n’en est pas la cause. Il y a des choses utiles, très utiles même, qui ne valent rien, et il y a des choses très-superflues qui coûtent excessivement cher. Ici les faits sont pour moi et la théorie de Condillac est en contradiction avec les faits.

Il n’y a qu’une chose que je puisse accorder à Condillac : c’est que la valeur grandit avec la rareté et qu’elle diminue au sein de l’abondance ; mais il ne faut pas s’imaginer que ce principe puisse se concilier avec cet autre que l’utilité est la cause de la valeur. Ainsi pour revenir à la vérité, il faut absolument que Condillac sacrifie sa première assertion et qu’il soit le premier à se donner lui-même un démenti.

Mais Condillac ne s’est pas aperçu qu’il ne se comprenait pas lui-même, lorsqu’il disait : L’utilité restant la même. Cette expression, la même utilité, est une expression amphibologique et qui présente un double sens. L’utilité peut être considérée dans sa nature ou, si l’on veut, dans son intensité, dans l’aptitude qu’elle présenté à satisfaire un besoin, ou à procurer une jouissance. Elle peut être considérée aussi dans sa somme ou dans sa quantité, c’est-à-dire dans le nombre de choses utiles, dans la grandeur de l’approvisionnement.