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cun de nous en a toujours autant qu’il en désire et que personne n’en est privé. Ce qu’il y a de plus remarquable dans ces objets, sous le rapport de l’immensité, ce n’est pas tant l’utilité dont ils jouissent que la quantité avec laquelle la nature nous les prodigue. Lorsqu’on veut leur attribuer une valeur infinie, on se trompe du tout ou tout, on s’égare complètement. Et, en effet, au lieu d’être infiniment grande, cette valeur est infiniment petite, ou, pour mieux dire tout à fait nulle. L’explication de Condillac est bien plus satisfaisante que celle de J.-B. Say. La preuve de notre assertion résulte évidemment de ce que nous en jouissons tous gratuitement, et que nous n’avons pas besoin de faire le moindre sacrifice pour nous en assurer la possession. Si les économistes français avaient voulu chercher la raison de ce fait, il est permis de croire qu’ils se seraient singulièrement rapprochés de la vérité, sur la question de l’origine de la valeur, et sur le rôle que joue en économie politique l’utilité. Quoi qu’il en soit, les expressions de Condillac me paraissent plus satisfaisantes et moins paradoxales que celles de J.-B. Say.

Non-seulement la valeur d’échange n’accompagne pas toujours l’utilité ; il ne manque pas de choses utiles qui ne valent rien ; non seulement l’utilité se montre souvent toute seule et sans que la valeur l’accompagne, mais il arrive encore que, dans les choses qui sont utiles et valables tout à la fois, la valeur ne se proportionne point à l’utilité, et cette vérité qu’on ne peut révoquer en doute porte un nouveau coup à la doctrine de Condillac et de J.-B. Say.

Il est impossible d’assigner les bornes à l’utilité, dans l’acception économique de cette expression. L’utilité se prend, en économie politique, dans le sens le plus étendu. Les mets les plus recherchés, et, par cela même, les plus malsains sont utiles au gourmand, et les parures les plus incommodes sont utiles à l’esclave de la vanité. Le poignard sert à l’assassin et le poison sert à l’empoisonneur. Par où l’on voit que, lors-