Page:Séances et travaux de l’Académie des sciences morales et politiques, série 2, tome 6.djvu/214

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

la rivière, l’eau nous coûte l’action de nous baisser pour en prendre. Il ajoute à cela que l’air nous coûte tout ce que nous faisons pour le respirer, pour en changer, pour le renouveler, et qu’enfin il nous coûte encore du travail ou de l’argent pour employer à nos usages les rayons du soleil.

Je tombe d’accord avec Condillac, que le travail a une valeur, et que payer en argent ou payer en travail, c’est toujours payer. Mais il ne faut pas abuser des termes et mettre des subtilités à la place du sens commun. Appeler travail l’action d’un homme qui s’approche d’une fontaine pour se désaltérer, l’action d’un homme qui s’épanouit aux rayons du soleil, ou l’action de celui qui ouvre la bouche pour laisser pénétrer l’air dans ses poumons, en vérité, c’est se moquer de ses lecteurs. Ces assertions ne valent pas la peine d’être réfutées ; elles ne sont bonnes qu’à fournir une triste et millième preuve de l’obstination à laquelle on se laisser entraîner par l’esprit de système.

Ce qu’il y a de bon, c’est que l’obstination même ne sert à rien, et que la vérité est plus forte que l’esprit de système. Condillac convient que la valeur de l’eau, de l’air et de la lumière est aussi faible que possible. Mais une valeur aussi faible que possible ne diffère guère d’une valeur infiniment petite, et une valeur infiniment petite s’appelle aussi, eu d’autres termes, une valeur nulle. Il est donc évident, quoi que puisse en dire Condillac, que l’utilité peut être séparée de la valeur d’échange, et que, par conséquent, on ne peut pas rattacher la valeur à l’utilité comme à sa cause nécessaire.

J.-B. Say a suivi une tout autre route que Condillac. Il prétend, lui, que l’eau commune, l’air respirable, la lumière du soleil ont une utilité immense, infinie, et que ces choses-là ont, par conséquent, et, pour ainsi parler, une valeur également sans bornes ; J.-B. Say se fonde sur cette considération que les services que nous rendent les divers objets que nous venons d’énumérer sont si nécessaires à notre