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beau. Brusquement l’horizon se découvre ; on est sur un rocher très bas, dans la baie largement ouverte qui s’étend du cap de Saint-Tropez à la pointe de Camarat. Devant soi, la mer ; à droite et à gauche, les forêts qui descendent jusqu’au rivage et dessinent d’une épaisse ligne verte le bord de la nappe bleue : si loin que porte le regard, nulle habitation n’apparaît. Unique, inattendu, le rocher avance, comme pour recevoir quelqu’un. On a jeté sur lui quatre blocs de granit, et sur l’un d’eux on a gravé, avec le nom d’Ollivier, l’inscription qu’il avait choisie : Magna quies in magna spe, « un grand repos dans une grande espérance ». Là, presque au ras des flots, Ollivier dort, isolé dans la mort comme il le fut dans la vie. C’est là que, venu tout droit de Paris en pieux pèlerinage, j’arrivai très las un soir de cet hiver, alors que les lames déferlaient au souffle d’une forte brise et que, dans cet état d’assoupissement où la pensée se distingue à peine des choses, je n’aurais pu dire si la voix qui semblait parler à la tombe était celle du vent, de la vague, ou du rêve. Trois fois elle caressa la pierre, et trois fois elle cueillit en passant les mots que je venais d’y lire :

« Un grand repos dans une grande espérance ! Quand Dante, le poète qui te fut cher, décrivit le supplice des damnés, il les montra plongés dans le sang et la boue, écrasés sous le plomb, broyés dans la triple bouche de Lucifer. Il n’avait pas pensé au tourment d’un fils que poursuivrait