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depuis bien des années, il avait paru, de loin en loin, lire distinctement dans l’avenir. Trente ans avant la bataille de la Marne, il écrivait : « C’est la Prusse qui a provoqué Napoléon III : qui vous dit qu’elle ne provoquera pas la République ? Il y a un petit village, dans les plaines de Champagne, qui donnera son nom à la victoire par laquelle Sedan sera effacé. » Trois mois avant sa mort, il insistait pour qu’on fabriquât des canons. Que vit-il à l’heure suprême ? La guerre qui devait éclater douze mois plus tard, la guerre qui, à ce moment même, se décidait entre Berlin et Vienne dans des conversations scélérates, le drame dont 1870 n’avait été que le prologue, la victoire jour et nuit rêvée pour la patrie qu’il aimait passionnément, découvrit-il quelque chose de tout cela dans un éclair révélateur ? Je ne sais ; mais après avoir commencé, sans avoir pu aller jusqu’au bout, la phrase où il déclarait mourir dans les convictions de toute sa vie, après avoir essayé en vain de prononcer les noms de ses enfants, tout à coup, se soulevant et brisant l’obstacle, il cria : « Les soldats ! Les soldats ! » Puis il retomba, sans connaissance. Une demi-heure après, il avait cessé de vivre.

De la demeure de la Moutte part une allée de palmiers qui se dirige vers la mer en traversant les vignes et les bois. Les palmiers s’abaissent et viennent se perdre parmi les pins qui bientôt font place aux cyprès, signes avant-coureurs d’un tom-