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mais pour la vérité, pour l’histoire. Déjà les matériaux étaient réunis, Ollivier avait achevé le premier volume, quand, devant le formidable effort qui restait à faire, le corps recula, épouvanté : une maladie grave se déclara. Ollivier dompta le mal, et coup sur coup, en dix ans, publia dix volumes. — Mais les yeux, usés, n’en pouvaient plus ; peu à peu la cellule s’obscurcissait ; bientôt ce fut la nuit. Dans les ténèbres il poursuivit sa tâche, grâce à la compagne qui recueillait pour lui les textes, les lui lisait et relisait, écrivait sous sa dictée : quand venait l’histoire d’une guerre, on étalait devant lui la carte, on guidait ses doigts de position en position, et alors, comme s’il eût assisté au drame, ou plutôt comme s’il y prenait part, le vieillard au corps à demi glacé, à l’âme de feu, faisait passer dans son récit le souffle enflammé des batailles. — Mais l’heure avait sonné, sonné depuis longtemps, et voici qu’après avoir d’année en année prorogé l’échéance, la mort frappait à la porte des coups de plus en plus impatients. Sous l’étreinte de la mort il travailla encore ; il acheva l’avant-dernier volume ; il écrivit les diverses parties du dernier : alors, souriant à l’œuvre accomplie, il s’abandonna, selon ses propres paroles, à celle qui venait le chercher pour le conduire où il était bon qu’il allât.

C’était le 20 août 1913, à Saint-Gervais. Dans son esprit plus que jamais lucide, quelle vision surgit au dernier instant ? Détaché du présent