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semble l’armature d’une humanité nouvelle. Ils se donneraient enfin (après quels tâtonnements, au prix de quels sacrifices, hélas !) un corps capable de refléter leur âme, un dispositif matériel adapté à leur idéal moral. La liberté est la grande source d’énergie, à condition toutefois que les volontés individuelles se règlent méthodiquement sur une fin commune. La liberté est créatrice, et les nations libres sont celles qui inventent ; un peuple qui ne se soutient que par l’obéissance passive doit le meilleur de sa force aux inventions qui lui viennent des sociétés libres ; sur ces civilisations il vit en parasite ; son fol orgueil vient de ce qu’il n’aperçoit pas cette vérité si simple. Mais encore faut-il que les peuples inventeurs sachent exploiter leurs inventions par une organisation appropriée et les mettre au service de leur idéal ; sinon, ils verront ces inventions, utilisées par d’autres, se retourner contre eux, et le progrès matériel devenir l’instrument d’une régression morale. De ce point de vue, la série d’événements qui se déroule depuis cinquante ans apparaît comme étroitement liée à la double rénovation, matérielle et morale, qui a marqué la fin du xviiie siècle, la première inaugurant l’ère des inventions mécaniques et de la grande industrie, la seconde tendant à substituer, entre nations comme entre personnes, le régime du droit à celui de la force. Il était dans le domaine du possible que le principe de la force s’insurgeât contre cette rénovation morale et portât à leur