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contour un peu sec de sa phrase permet de savourer toute la cruauté. » Savez-vous pourquoi, à cet instant, la métaphore titube un peu ? C’est que Tailhade ne songe guère au monsieur quelconque qu’il loue. Il songe à Tailhade et, par une illusion facilement explicable, donne comme une seule et même chose ce qu’il voudrait avoir et ce qu’il a réellement. Il n’a pas la verve, puisqu’il n’a ni abandon ni abondance généreuse. Il a la cruauté, l’ironie calculée. Il n’a jamais la joie des larges mouvements et de l’irrésistible puissance à demi-consciente. Quand il la poursuit, c’est une course après la verve, une course épuisante et immobile de cauchemar. Mais il a souvent le plaisir adroit et haineux de sentir que son épée empoisonnée vient de glisser, précise et meurtrière, au défaut de la cuirasse.

La folie romantique est contagieuse ; elle enlève une foule plus facilement que la sagesse classique. La froideur parnassienne, même quand elle recouvre le néronisme d’un histrion impuissant, reste distinguée et inspire aux foules un respect étonné et hostile. Un homme d’état est classique ; un tribun est romantique ; à moins d’un très grand effort commercial, l’ora-