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prostitués

ser m’est aussi doux que le pain du plus pur froment. Aime-moi, rêve de moi, invente pour moi des caresses nouvelles.

La laide ou la fière a vu son travail s’accroître, devenir écrasant, supprimer le peu de loisir qui lui restait, tuer complètement l’ange qui agonisait en elle, tuer quelquefois la bête surmenée. Elle a crié sa plainte. La favorite l’a appelée : « Envieuse. » Le Maître a déclaré : « Il est juste que celle-ci, qui est belle, ait la meilleure part. » Il a dit encore : « Il faut que tout le monde vive. » Il a conclu : « Tout travail mérite salaire. » L’esclave laborieuse est partie persuadée par ces paroles. À moins que quelques coups de fouet n’aient achevé de la convaincre.

Mais le salariat moderne a donné à la prostituée des maîtres nombreux, exigeants et avares. Le plaisir la surmène plus que le travail ne fatigue les autres. Elle doit subir la pitié aussi bien que le mépris. Elle a des maladies qu’on ne nomme pas ou elle se meurt de la poitrine. Elle est justement punie d’avoir fait travailler l’ange, d’avoir vendu ce qui doit se donner. En croyant se délivrer de la bête, elle en est devenue l’esclave plus qu’auparavant.