Page:Ryner - Prostitués, 1904.djvu/154

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

poisonneuse, je reviens au passé frémissant de Léon Daudet, à l’époque où je l’aimais d’espérance. On est toujours obligé de reconnaître qu’on s’est laissé duper presque volontairement. Aussi de telles méditations humiliantes ont peut-être, outre leur charme inquiet, quelque utilité.

À travers une affection qui me cachait la plupart des signes défavorables, Léon Daudet m’apparaissait, à ses débuts, une énergie violente, énorme, superbe malgré les incohérences et l’absence de maîtrise. Je l’admirais comme un orage dont l’angoisse s’illumine à la brusque splendeur des éclairs ou parfois à je ne sais quels vastes frémissements lumineux. J’aimais Le voyage de Shakspeare, étude curieuse de la formation d’un génie, et l’Astre noir, étude âpre de l’écrivain génial dans sa pleine et complexe maturité. J’aimais aussi des pamphlets extérieurement hardis et généreux, les Morticoles et même — Dieu me pardonne ! — les Kamtchatka. Pourtant, au plus fort de mon admiration, je m’inquiétais :

« Ses études de psychologie tératologique semblent presque approuver ce qu’il condamne violemment dans ses satires. Le Malauve de l’Astre noir n’est point blâmé de ses ignomi-